Organisation des obsèques : ces dépenses folles
Tentons une incursion au royaume des fossoyeurs, des croque-morts et des ministres du culte (prêtre, imam ou pasteur). Cette sortie éditoriale se fait sous les oripeaux de la mort. Mais elle est loin de véhiculer des idées macabres. Cette tribune lorgne simplement, avec recul, la mort ou du moins nos comportements face à la mort. Oui, la mort, c’est la page triste, c’est le saut vers l’inconnu, c’est la déchirure, c’est la fin. On passe de l’état d’être vivant à un état inanimé. De vie à trépas. Tout s’arrête. Du moins, le corps ne vit plus. Les religieux soutiennent le contraire, les traditionalistes aussi. Selon eux, il y a une vie après la mort. Mais ceci est un autre débat. Dans ces colonnes, le débat a pour centre d’intérêt nos débordements face à la mort. Au Cameroun, on peine désormais à dire, en toute objectivité, si la mort est encore synonyme de tristesse, d’affliction… Au fil des ans, et au gré de la survenue de ces évènements malheureux, l’organisation des cérémonies mortuaires laisse transparaître des excès, de la vulgarité parfois.
Dans certains cas de figure, le deuil, si affligeant dans son essence, a une forte connotation carnavalesque. On dépense en réalité sans compter. Il y a même des faire-part clandestins qui circulent dans tous les couloirs où le défunt aurait eu des accointances. En fonction du rang social du mort ou de la notoriété de sa descendance, l’argent coule à flots. Et parfois, toutes ces sommes ne sont pas utilisées pour le deuil. Pire, ceux qui organisent de fortes collectes de fonds n’ont pas toujours eu la moindre relation avec le défunt. Présenté ainsi, on crierait à la caricature. Que non ! les fins de semaine au Cameroun sont désormais réservées à l’organisation des obsèques et autres funérailles. Un groupement peut même avoir trois cérémonies mortuaires au même moment et il faut y participer.
Loin de nous, toute tentative de stigmatiser l’hommage aux morts. Loin de nous le dessein d’exacerber les écarts de la société. Chaque famille a du reste le droit, si ses ressources le lui permettent, d’enterrer son parent avec la dignité qui sied. Cependant, on ne saurait être insensible à tout ce business qui se construit, parfois sans honte, autour du deuil. Dans nos familles, de plus en plus divisées, on se surprend, à la faveur d’un décès, de découvrir que tel « Mbombo » qui vivait dans la misère, avait une famille aisée.
Comment parvient-on à mobiliser des millions en deux semaines pour un mort alors qu’une ordonnance de 7500 F a rarement été réglée lorsque l’intéressé était interné dans une formation sanitaire ? Comment peut-on monter des budgets à hauteur de millions pour la collation et apprendre à la dernière minute que le corps est encore bloqué à la morgue parce que celui qui s’est engagé à l’hôpital est devenu injoignable ? Comment peut-on organiser plusieurs maisons du deuil, des messes, des veillées à n’en plus finir alors que du vivant du disparu, personne n’osait se pointer à son domicile ? Les sociologues seraient certainement intéressées par cette déviance qui nous éloigne de ce que la famille est censée être en Afrique.
Autrefois, la mort, lorsqu’elle survenait, était une occasion pour le clan d’accompagner le défunt au royaume des morts. Le rituel organisé à l’occasion, permettait ainsi un transfert paisible, entre le monde des vivants et celui des morts. En pareille circonstance, les personnes habilitées appelaient les ancêtres pour leur demander d’accueillir l’un des leurs. Tout ce que les vivants organisaient en ces moments de douleur avait valeur de symbole. Les techniques de conservation du corps étaient connues. On n’attendait pas une éternité pour garder le corps à la morgue. Il convient de relever au passage que dans cette perception ancestrale, on ne met pas tous les corps à la morgue. Toujours dans cette logique culturelle, les activités de la communauté étaient momentanément suspendues, le temps de faire le deuil.
Aujourd’hui, ces symboles sont noyés dans une approche économique, voire mercantiliste du deuil. Le marché du deuil, riche de ses artifices, (le pagne, le cercueil, le foulard, le macaron, les oriflammes, les banderoles, les chapiteaux, caisses de vin…) semble avoir pris une bonne avance sur le recueillement. La preuve en est qu’après la grande parade le jour des obsèques, avec le déferlement des grosses cylindrées, les cortèges de motos, la famille nucléaire du défunt est abandonnée à ses démons. La veuve, souvent seule face à la meute des ayant-droits occasionnels, trouve rarement du soutien. Le frère cadet du défunt qui, pendant les obsèques, mieux « le grand deuil », recevaient toutes les contributions, répond désormais aux abonnés absents, lorsqu’il n’exerce pas des pressions sur la famille douloureusement éprouvée pour lui céder le titre foncier et les numéros des comptes en banque. En pareille circonstance, on est rarement témoin de la mobilisation autour de la famille du défunt. Pire, après cette agitation imprégnée de calculs financiers, on découvre, des années plus tard, que la tombe du parent bien aimé n’a pour seul compagnon que la broussaille. La société camerounaise doit dire non à cette façon de faire. Il faut se pencher sur ces débordements, chacun dans sa famille, et remettre l’homme au centre de tout. L’argent n’étant qu’un serviteur occasionnel. A quoi-sert-il de dépenser des millions pour enterrer quelqu’un à qui on n’a pas pu rendre visite lorsqu’il était à l’agonie ? En tout état de cause, ces dépenses de prestige devraient se faire plus discrètes et faire place nette à ceux qui sont dans la douleur et qui pleurent sincèrement le mort.