Urbanisme à Douala et dans les villes camerounaises : Vision et innovations avec Marc Marcellin MANGA
Dans le cadre des Journées de l’Urbanisme de Douala (JUD), Cities Hebdo est allé à la rencontre de Marc Marcellin Manga, ingénieur informaticien, Expert en Transformation Digitale, figure engagée dans le virage numérique de l’urbanisme au Cameroun et CEO de SiteWare International. Il évoque avec lucidité et enthousiasme l’impact de la dématérialisation des actes d’urbanisme, une avancée majeure portée par la ville de Douala, et l’avenir des villes intelligentes au service des citoyens.
Cities Hebdo : Monsieur Manga, les JUD en sont à leur 3e édition. Selon vous, quelle évolution notable cette initiative a-t-elle apportée à la dynamique de l’urbanisme à Douala depuis son lancement ?
Marc Marcellin Manga : Je constate avec satisfaction une montée en puissance très significative de cet événement. Les Journées de l’Urbanisme de Douala génèrent un engouement croissant, preuve que les citoyens (Habitants de la ville de Douala) s’approprient peu à peu les enjeux urbains. Ce n’est pas anodin. Les thématiques abordées infrastructures, gestion foncière, stratégies d’aménagement touchent directement leur quotidien des habitants. Elles interpellent aussi sur l’avenir de Douala. ???Que fait la Communauté Urbaine pour rendre la ville plus fonctionnelle, propre, plus attractive, une cité où il est agréable de vivre ? C’est une dynamique d’échange, de transparence, et d’innovation, qui prend forme d’année en année.
CH : Vous êtes l’un des pionniers de la dématérialisation des actes d’urbanisme à Douala. Quelles problématiques précises cette innovation vient-elle résoudre sur le terrain ?
MMM : La vision portée par le Maire de la ville est claire : offrir aux citoyens un cadre bâti structuré, sécurisé, et conforme aux standards. Trop souvent, les actes d’urbanisme tels que les permis de construire ou de démolir restent méconnus ou mal utilisés. Parfois, les ouvrages réalisés ne correspondent même pas aux plans validés.
La dématérialisation change la donne. Elle offre une solution concrète à la lenteur et à l’enchevêtrement administratif, apporte plus d’efficacité dans le traitement des dossiers et traçabilité dans le suivi. Grâce à la plateforme, chaque citoyen peut, depuis chez lui, soumettre son dossier, suivre son traitement, recevoir des notifications en cas d’irrégularité, et être informé des étapes à suivre jusqu’à la délivrance finale. C’est un saut qualitatif immense en termes de délai, de transparence et d’efficacité. Et au-delà, cela s’intègre avec le système d’information géographique de la ville, pour mieux lire et gérer le territoire, et éviter les incohérences d’urbanisation. C’est une brique essentielle d’une gouvernance urbaine moderne.
CH : Le logiciel que vous avez conçu est aujourd’hui en phase d’expérimentation ou déjà fonctionnel dans certains services ? Quels premiers retours avez-vous reçus des usagers et des acteurs publics ?
MMM : Nous le développons en partenariat avec OCI Urbanisme, un acteur français. La solution est implantée depuis plus de dix ans à la Communauté Urbaine de Douala, dans une version essentiellement en backoffice, sans interaction avec le pubic. Aujourd’hui, le logiciel est pleinement opérationnel, ouverte au public et les premiers retours sont extrêmement positifs. Finies les piles de documents physiques ! Le dossier est numérique de bout en bout, et accessible en temps réel.
Les citoyens de la diaspora, en particulier, expriment une vraie reconnaissance. Le fait est qu’ils peuvent désormais soumettre et suivre leurs dossiers depuis l’étranger, ce qui n’était pas le cas auparavant. Lors des différentes assises du Cameroon Business Forum, l’une des principales doléances des investisseurs portait sur la traçabilité et la rapidité des démarches administratives. Cette solution y répond parfaitement. Elle pose les bases d’un urbanisme agile, inclusif et tourné vers l’avenir.
CH : Quelles garanties offre votre solution en matière de sécurité, de traçabilité et de réduction des litiges liés à la délivrance des actes d’urbanisme ?
MMM : Il y a deux volets : d’abord la vérification foncière, qui continue de relever des services compétents de la Communauté Urbaine. Ils assurent l’authenticité des documents, la validité des titres fonciers et la cohérence des demandes. Ensuite, il y a l’environnement numérique sécurisé que nous avons conçu.
Chaque utilisateur accède au système via une double authentification : identifiant, mot de passe, puis code de confirmation envoyé par e-mail ou SMS. Les données sont cryptées, hébergées localement et administrées par les équipes du Guichet Unique. À moyen terme, une passerelle de paiement électronique sera intégrée, pour sécuriser encore davantage les transactions, via des solutions reconnues comme Visa, Orange Money ou MTN Mobile Money. L’idée, c’est d’éliminer toute manipulation de cash et d’assurer une traçabilité irréprochable.
CH : Comment voyez-vous l’extension de cette innovation à d’autres communes ou villes camerounaises ? Le modèle est-il transposable à l’échelle nationale ?
MMM : Absolument. Douala fait office de ville-pilote, mais notre ambition est nationale. Le modèle est conçu pour être mutualisable, même par des communes à ressources limitées. L’instruction peut se faire à distance via internet, et le coût d’implantation local peut être très réduit.
Pour des mairies partenaires, on peut imaginer un appui technique et une assistance partagée, le temps que les compétences locales soient formées. La plateforme est simple d’utilisation, elle ne requiert pas un bagage technique avancé. Ce sont les agents instructeurs qui doivent être bien formés, c’est tout.
Les seuls prérequis sont l’accès à l’électricité et à internet. Même avec une source solaire ou un groupe électrogène, la dématérialisation reste possible. Et elle est surtout nécessaire pour faire entrer toutes nos communes dans une ère de gouvernance urbaine plus lisible et plus équitable.
CH : Enfin, quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes professionnels de l’urbanisme et aux start-ups intéressées par les solutions numériques au service des villes ?
MMM : Je leur dirais ceci : le numérique est désormais au cœur du destin de nos villes. Nous sommes confrontés à deux défis majeurs : une croissance démographique rapide, et une nécessité d’adaptation numérique urgente. Les outils digitaux permettent de repenser les rapports entre institutions et citoyens, de fluidifier les services, de résoudre les lenteurs administratives, et d’inventer de nouveaux usages urbains. Aussi de mieux prendre en compte les préoccupations du genre, de la jeunesse, du handicap, de l’écologie, etc. tel que le prescrit les ODD reprises dans le SND30 au Cameroun.
Donc, La dématérialisation des actes d’urbanisme n’est qu’un point d’entrée. D’autres domaines devraient suivre : gestion des déchets, mobilité, éclairage public, sécurité. Le numérique est un catalyseur de participation citoyenne, un levier pour réinventer le vivre-ensemble.
Par ailleurs, je crois profondément que nous devons tendre vers des villes intelligentes. Pas seulement intelligentes parce qu’elles utilisent des technologies, mais parce qu’elles mettent le citoyen au centre de la fabrique urbaine. C’est là que les jeunes, les innovateurs, les start-ups ont un rôle crucial à jouer.
Entretien réalisé par Yolande Tsoumou
Pour Cities Hebdo
Douala, juin 2025